Un reporter de magazine m’a accusé d’avoir acheté une moto
et un blouson de cuir uniquement pour attirer les jeunes dans mon Eglise.
C’est totalement faux. Je possédais déjà une moto longtemps
avant que les blousons de cuir ne fassent fureur. En fait, l’équipement de mes
débuts aurait certainement fait rire les motards d’aujourd’hui. Il se composait
d’un béret vert, d’un long imperméable bleu de police, et
de bottes de pompiers, le tout acheté au surplus local.
Quant à ma moto , une BSA Bantam, je l’avais tout simplement
achetée pour me déplacer dans ma paroisse qui était à cette époque dans une
nouvelle zone d’habitation à côté de l’aéroport de Londres.
Eric Haul, un membre de notre club de jeunes, m’a appris à
conduire sur sa toute nouvelle Douglas Dragonfly. Nous sortions tard la nuit
afin que mes escapades passent inaperçues.
Puis j’ai décidé que j’étais prêt pour passer mon permis de
conduire. J’ai échoué une première fois à Ealing. L’inspecteur était une femme
et je suis convaincu que ses bêtes noires étaient les vicaires et les
motos ! Non seulement, elle me refusa le permis, mais pour enfoncer le
couteau dans la plaie elle rajouta que j’étais une menace pour le public.
Peut-être l’étais-je... Mais je l’ai obtenu la deuxième
fois, de justesse, car je suis tombé en panne d’essence durant le retour !
On ne peut pas dire que cette époque de ma carrière de
motocycliste ait été brillante.
La moto était un vrai four. Je ne peux pas me souvenir le
nombre de fois que j’ai du la pousser de Hanworth à Twickenham pour que le
vendeur constate les défauts de la machine.
Un jour où j’essayais vainement de la kicker devant la
maison d’un paroissien, un livreur de lait qui était en train de bavarder sur
le pas de la porte se moqua : « dommage que les vicaires n’aient pas
le droit de jurer ! » S’il avait su...
En me rendant à un mariage, la moto tomba en panne deux
fois, et j’étais tellement mal à l’aise de devoir conduire la cérémonie avec
les mains noires de graisse que j’ai décidé de revendre la moto et de retourner
à mon vieux vélo. J’en avais tellement mare des motos à cette époque que
j’espérais ne jamais en ravoir.
J’ai tenu parole jusqu’en 1959 alors que le bishop m’envoya
à Hackney Wick pour m’occuper du collège Eton. C’était une très grande et très vivante paroisse, et il est vite
devenu évident qu’il me fallait un autre moyen de transport. Comme je n’avais jamais
appris à conduire une voiture, j’ai décidé de tenter ma chance et d’acheter une
deuxième moto. Cette fois, c’était une BSA C15 seconde main.
C’était de nouveau comme si je réapprenais à conduire, je me
levais à 4 heures du matin pour aller conduire hors circulation. La C15 était
un rêve après la Bantam, mais je n’étais tout de même pas certain d’avoir fait
le bon choix en rachetant une moto.
Peut-être cela aurait été plus digne pour un pasteur d’âge
moyen d’acheter une voiture et d’apprendre à la conduire. Mais la suite des
évènements en a décidé pour moi...
Je me rappelle cet évènement très nettement.
Nous étions en train de déjeuner dans le presbytère lorsque
le téléphone sonna.
Un petit garçon de notre école du dimanche était en train de
jouer dans une zone qui avait subi des bombardements et un énorme bloc de béton
lui était tombé sur la tête. Il était blessé gravement et ses parents voulaient
qu’un prêtre vienne à ses côtés tout de suite.
Je savais que je devais y aller en moto, c’était évident.
Mais Brentwood était loin de Hackney et cela signifiait que je devais descendre
l’avenue Eastern, renommée pour sa circulation difficile. Je n’avais pas le
temps d’hésiter, et je me mis en route de suite. C’était un cauchemar de
conduire dans ces conditions pour quelqu’un d’inexpérimenté, mais je suis
arrivé et j’ai pu prié avec le jeune garçon. Contre toute attente, le jeune
garçon guérit d’une façon remarquable. De retour sain et sauf à la mission de
Eton, un étrange sentiment d’exaltation m’envahit. Non seulement j’avais vaincu
ma peur de la circulation, mais ma moto m’avait servi à accomplir mon devoir de
pasteur.
Le lendemain matin à l’office, j’ai délibérément choisi
d’offrir ma moto à Dieu et Lui ai demandé d’en faire usage pour son compte.
C’était une prière à laquelle il a été répondu d’une façon dont je n’aurais pas
pu mieux rêver.
Pendant les deux ou trois années suivantes, j’ai utilisé la
moto pour aller et venir dans ma paroisse, mais l’idée ne m’était jamais venue
qu’un jour j’aurais pu créer un club motocycliste. La plus grande partie de mon
temps était consacrée au club de jeunes qui venait juste d’être créé par le
Révérend John Oates. Peut-être devrais-je dire un mot à propos de ce club, car
il répond à la question pourquoi le club s’appelle le « 59 » ?
Le club que nous connaissons maintenant sous le nom de
« Club 59 » a été créé
en 1962 en tant que section du Club 59 déjà florissant de la mission d’Eton qui
était le club que nous avions créé en janvier 1959 avec Cliff Richards comme
invité d’honneur. Nous l’avons appelé le Club 59 parce que nous voulions sortir
de l’image plutôt vieillote du traditionnel club de jeunes paroissial. Ce club
a rencontré un vif succès dès le début, et beaucoup de stars réputées sont
venues nous rendre visite. La soirée la plus fabuleuse de toutes fût celle où
la Princesse Margaret et son mari ainsi que Cliff Richard et les Shadows, sont
venus nous rendre visite.
A cette époque, le virus de la moto m’avait réellement
atteint. J’ai troqué ma C15 pour une Speed Twin de 1959 et j’ai commencé à
apprécier les frissons de la moto. J’ai même acheté un casque de style police et un blouson de cuir trois-quart
bien sûr. Puis un jour, j’ai lu dans les journaux qu’un office spécial pour les
motards avait été célébré dans la toute nouvelle cathédrale de Guilford. J’ai trouvé
cela plutôt étrange parce que généralement les cathédrales donnent un sentiment
de respectabilité, mais cela me donna une idée.
Si Guilford pouvait le faire, pourquoi est-ce que Hackney
Wick ne le pourrait pas ?
Pourquoi ne pourrions nous pas avoir un rassemblement des
motards du nord et de l’est de Londres à la Mission ? Pour la première
fois de ma vie, j’écrivis un courrier à une revue de moto, demandant si
quelqu’un serait intéressé par un tel office. L’éditeur, Harry Louis, le publia
et presque immédiatement je reçus une lettre de Bob Matthews, secrétaire
général du Triumph Owners Club, disant qu’il pensait que c’était une bonne idée
et qu’il aimerait m’aider à organiser cet évènement. Il était hospitalisé à ce
moment, je suis allé le voir pour en discuter ensemble. J’ai provoqué un petit
incident à l’hôpital en roulant avec ma moto dans une descente d’égout d’eau de
pluie et en éclaboussant.
Bob m’a envoyé à la section Londonienne Nord du club Triumph
Owners Club qui à cette époque avait son quartier général dans une Quaker
meeting house à Stoke Newington.
Je serai toujours reconnaissant aux membres du TOMC pour la
façon dont il m’ont accueilli et ont supporté mes idées. Jusqu’à ce moment,
j’avais toujours été un motard solitaire, maintenant avec les réunions du
vendredi soir à Stoke Newington, j’appréciais pour la première fois la
fantastique camaraderie du monde de la moto.
Pendant ce temps, les plans prenaient doucement forme pour
notre grand évènement qui était maintenant fixé à un dimanche du mois de mai
1962. Nous nous étions assurés du concours de l’officier local de la sécurité
de la route et nous avions envoyé des douzaines de circulaires à tous les clubs
moto de la région. C’est alors que surgit un évènement qui eut des
répercussions profondes sur tout le déroulement des évènements à venir.
Un jour, alors que je discutais de l’office avec certains
des membres du Triumph Owners Club, quelqu’un me dit :
« Bien sûr, les gens que tu dois réellement inviter à
l’office sont les jeunes «hooligans qui roulent en hurlant le long de la
North Circular Road (périphérique nord de Londres) ».
« C’est très bien »– dis-je, « mais je ne
connais pas un seul d’entre eux. Comment puis-je faire leur
connaissance ? »
« Si tu veux réellement les rencontrer, tu devrais
faire un tour du côté de l’Ace Cafe »
« OK », dis-je, « je vais y aller »
Jusqu’à présent, nous avions uniquement pensé à inviter les
membres des hautement respectables clubs de motos à notre office. L’autre section de la fraternité moto m’était totalement
inconnue. Je me souvins, cependant, d’un article de magazine que j’avais lu les
années précédentes, alors que j’attendais pour me faire couper les cheveux.
C’était le genre d’article que l’on rencontre de temps en temps dans la presse
américaine, décrivant les activités des Hells Angels, abondamment illustré de
photos prise à l’Ace. Ce n’était certainement pas fait pour inspirer la
confiance à quelqu’un qui devait aller à l’Ace pour la première fois. Plus j’y
pensais, plus je redoutais d’y aller.
Je choisis d’aller à l’Ace un samedi après-midi. Si j’avais
davantage connu les habitudes des jeunes motards, je n’aurais certainement pas
choisi ce moment. L’Ace est à 13 miles (20 km) de Hackney Wick et je pris la
route avec plusieurs posters roulés et attachés à l’arrière de ma moto, en
espérant que je pourrais persuader les propriétaires d’en afficher un.
Me demandant quel genre d’accueil me serait réservé,
j’enroulais un foulard autour de mon cou afin de cacher ma collerette.
Juste après Staple’s Corner, à peu près une douzaine de
motos chevauchées par des personnages au look sinistre en blouson de cuir,
rugissaient dans la direction opposée.
J’étais mort de peur. Au moment où je passais en dessous des
ponts de Stonebridge Park, j’étais tellement paniqué que j’accélérais à fond et
m’enfuyais de l’Ace aussi vite que je pouvais. Je réalisais alors que j’étais
en train de devenir un trouillard. Aussi, au prochain carrefour, je fis
demi-tour. De nouveau, la panique me gagna et je passais devant l’Ace sans m’arrêter,
je fis demi-tour une deuxième fois et finalement j’entrai dans la cour.
A ce moment, l’Ace était pratiquement désert, je commandais
une tasse de thé et m’assit pour la boire, mon visage cramoisi d’embarras. Je
pris le chemin du retour sans m’être débarrassé d’un seul poster, mais je me
consolais en me disant que j’avais enfin pénétré dans la tanière du lion, même
si les lions étaient en fait en train de rôder à la recherche d’une proie.
Plusieurs semaines s’écoulèrent avant ma nouvelle tentative
pour trouver les garçons à l’Ace.
Ce fût seulement la nuit la veille de l’office que je réunis
tout mon courage pour y retourner. Cette fois, je ne cherchais pas à cacher ma
collerette et j’y allais armé d’un paquet d’imprimés sur lesquels on pouvait
lire : « Ceci est une invitation personnelle pour VOUS pour
vous rendre à l’église dimanche prochain pour assister à une messe spéciale
pour les motards ».
Il devait être à peu près 8 heures le soir lorsque une
nouvelle fois j’entrais dans la cour de l’Ace. La cour était remplie de motos,
des centaines de garçons tournaient en rond, riant et discutant. « C’est
le moment » pensais-je, « je risque certainement de perdre mon
pantalon ou d’atterrir dans le canal ». Je me dirigeai vers le groupe le
plus proche et allai directement au vif du sujet : « je veux tous que
vous veniez à l’église demain ».
Lorsque j’y repense, je m’étonne moi-même de mon sang froid,
moi, un homme d’église d’âge moyen envahissant la forteresse d’un des groupes
de jeunes les plus coriaces de la région. Il n’y eu aucun rire, aucune
plaisanterie, à la place il vinrent tous se presser autour de moi, me
bombardant de questions : « Quelle est la raison ? Ou
est-ce ? Comment y aller ? Quelqu’un m’apporta une tasse de thé. Je
ne suis jamais entré à l’intérieur de l’Ace car tous les gens n’arrêtaient pas
de venir parler avec moi dehors. C’était la soirée la plus fantastique que j’ai
jamais connue. A minuit j’ai réussi à m’échapper pour aller dormir un peu avant
de terminer les dernières préparations pour la messe de trois heures le
lendemain...
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